L’eau clapotait doucement contre les pattes du grand mâle tigré. Appartenant au Clan de la Brume depuis sa naissance, celui-ci s’en moquait totalement puisqu’il passait son temps à chasser dans l’eau et parfois même complètement immergé. Le contact avec ce liquide frais lui était devenu indifférent et presque agréable.
Très tôt ce matin, Etoile Céleste s’était faufilé hors du camp pour se rendre sur cette plage qu’il affectionnait tant. Lorsqu’il était arrivé, presque les trois quarts de la plage étaient secs, puis se fut la marée haute, et le chef se retrouvait trempé jusqu’au ventre. Mais cela ne faisait que rajouter du plaisir au moment présent. Il aimait fermer les yeux, entendre les bruits des vagues percutant les falaises et sentir le doux et enivrant souffle provenant de l’océan, apportant dans son sillage les parfums de la mer et ébouriffant son épaisse fourrure sombre. De plus, le soleil commençait à se lever, et teintait de ses rayons un ciel sans nuage d’une pâle lueur rose ainsi que le pelage du grand chat de magnifiques reflets dorés.
Le moment était si parfait qu’Etoile Céleste souhaitait qu’il dure indéfiniment. Il pensait à son Clan et à tous les chats qui en faisaient parti. La saison des feuilles vertes s’était faite tardive cette année là, mais elle était désormais bien présente. Gibiers, poissons et crustacés abondaient et tous mangeaient à sa faim et même plus. Les guerriers et apprentis étant moins occupés à chasser puisque la réserve se remplissait rapidement, l’entrainement des jeunes avançait à grand pas. Tout allait au mieux pour le Clan de la Brume, et son chef s’en réjouissait.
Il fut soudainement tiré de ses pensées par un cri venant de derrière lui. Il se leva et se retourna en hâte, ayant entendu que l’on prononçait son nom avec une certaine panique. Il plissa les yeux et aperçut la robe tigré de son cher lieutenant, Pur Poison. Celui-ci courrait à toute vitesse, visiblement pressé. Etoile Céleste s’élança à son tour pour le rejoindre le plus vite possible, car voir son lieutenant ainsi l’inquiétait au plus haut point. L’eau ralentissant ses mouvements, il fut soulagé lorsqu’il en sortit et fut capable de bouger ses pattes à la vitesse désirée. Ils se rejoignirent très vite étant tous deux des félins très véloces. Le chef n’eut qu’à lancer un regard énigmatique à son ami pour que celui-ci m’explique ce qui le mettait dans cet état. Il reprit son souffle, puis raconta :
« Le Clan de la Pluie !Il a décidé de retenter sa chance ! »
Soudain, l’attaque du Clan de la Pluie quelques jours plus tôt refit son apparition dans l’esprit du chat au pelage foncé. Ce clan convoitait la bande de forêt que le Clan de la Brume possédait. Une patrouille avait surprit des chats du clan ennemi en train d’y marquer leur territoire. Une bagarre avait éclaté, et même si les chats de la Brume avait réussi à repousser leurs adversaires, ils en avaient gardé de profondes blessures, aussi bien corporelles que mental.
« Ils sont au frontières les plus au sud des bois, les plus éloignées du camp ! Nous ne sommes que quatre contre au moins dix ! »
Cela s’annonçait corsé… En deux secondes, le chef décida de ce qu’il fallait faire.
« Retournes au combat ! Il faut que vous teniez jusqu’à mon arrivé ! Privilégiez l’esquive ! Je ne veux pas vous retrouver morts ! » lui ordonna-t-il.
Ils firent tout deux voltes-faces au même moment et partirent de deux côtés opposés.
Les pattes d’Etoile Céleste frôlaient à peine le sol. Il lui fallait retourner au camp chercher des guerriers, puis repartir à l’autre bout de la plage afin de sauver leurs territoires ainsi que leurs amis, et tout ça le plus vite possible. Le félin sautait de rochers en rochers afin d’y arriver en un temps record, mais la falaise où logeait son clan n’était pas si facile à escalade. Il aurait pu passer par le chemin de terre, mais cela aurait prit le double du temps. Et en ce moment, le temps était précieux et à ne surtout pas gaspiller.
Enfin, il arriva dans l’immense grotte principale où se trouvait la sortie (le chemin de terre), les entrées pour toutes les autres grottes, et le promontoire. Pour aller encore plus vite, il lança son cri de guerre, ce qui alerta tous les chats et les firent sortir de leurs grottes respectives ou simplement s’approcher du promontoire s’ils étaient déjà en dehors. Etoile Céleste arriva enfin au pied du grand rocher incrusté dans la paroi de la grotte, fléchit son puissant arrière train, puis bondit et atterrit au sommet de la pierre. Lorsqu’il jeta un coup d’œil en dessous de lui, tous étaient déjà là. Il entreprit donc de leurs exposer la situation :
« Le Clan de la Pluie nous attaque une nouvelle fois ! »
Cette annonce fut accueillie par des grognements de colères et de rages, mais aussi par des miaulements d’inquiétude.
« Il faut agir vite ! Tous les guerriers et apprentis ayant plus de huit lunes m’accompagnent ! Les autres, vous surveillez le camp. »
Il sauta de son perchoir pour rejoindre la troupe qui s’était formée, puis il s’élança tout en espérant qu’il n’était pas déjà trop tard…
Enfin ! Enfin ils arrivaient à la lisière des bois, où, à quelques dizaines de mètres se déroulaient le combat. Etoile Céleste se retourna alors pour la première fois face à ses guerriers depuis leur départ du campement. Il trouva alors des visages incertains, quelques uns même apeuré. Cela devait surement être du à leur soit disant victoire contre ce même clan une petite semaine plus tôt. Leurs morals semblaient être au plus bas… Pour plus d’efficacité au combat, le meneur tigré décida de prendre une dizaine de secondes pour les remotiver.
« Ecoutez moi tous ! Je sais que dernièrement, nous avons remporté une victoire qui n’en était pas vraiment une ! Mais nous nous sommes reconstruis ! Vous vous êtes tous entrainés depuis ! Vous avez mangé à votre faim, dormi à votre guise ! Mais maintenant en venu le temps de combattre ! »
Tout en parlant, il regardait chaque visages, y plongeant son regard ambré.
« Aujourd’hui, le Clan de la Pluie a une fois de plus violer notre territoire ! Allons nous le laisser faire? Non ! Je ne veux pas être le chef d’une bande de chatons paniqués et apeurés ! »
Ses paroles dures eurent rapidement l’effet désiré. La détermination réapparaissait au fond de leurs prunelles.
« Non, moi, je suis le meneur d’un Clan fier et fort, qui ne se laissera pas marcher dessus et ne cédera pas un millimètre de ses bois ! »
Il désigna de la queue les arbres derrière lui. Il fut enfin soulagé lorsqu’il entendit une clameur énergique et féroce.
« Faites quatre groupes. Un prendra l’ennemi à revers, un sur son flanc gauche, un autre sur son flanc droit, et le dernier par devant ! Utilisez toutes vos techniques de façon à se qu’ils ne vous repèrent pas ! Et attendez mon signal avant d’attaquer… »
Les quatre groupes s’enfoncèrent lentement sous les feuilles des arbres, à pas de loup. Si Etoile Céleste avait fermé les yeux, il se serait cru seul tellement ses compagnons étaient discrets. Le cœur empli de fierté, ce fut au tour d’Etoile Céleste et de son groupe de s’avancer. La bataille allait être exaltante…

Il y a des jours avec, et des jours sans, comme dit le dicton. Mais les jours sans commençaient malheureusement à se multipliaient dans l’existence de Eien. La raison de son mal-être? Il n’en avait aucune idée. Il espérait que cette période de sa vie serait furtive, passagère. Mais il avait vraiment le moral au plus bas, et ne savait pas quand ça allait s’arranger, et surtout si ça allait s’arranger. Il essayait d’en trouver la cause, il y passait tout son temps lorsqu’il n’était pas occupé à broyer du noir… Lui qui était en temps normal un loup joyeux et qui aimait la vie, le voici totalement abattu, perdu. Peut-être était-ce le manque de compagnie? Le quotidien trop plat, sans évènement, sans fantaisie? Mais d’habitude, il se la créé lui-même, cette fantaisie qui faisait qu’il appréciait tant la vie. Peut-être était-ce justement le coût de ses journées passée à gambader gaiement, à rire avec des êtres chers? Des moments de détresse pure et simple pour compenser des moments de joies intenses. Probablement le moyen d’équilibrer la vie de chaque êtres vivants dans cet univers. Même si c’est un moyen plutôt injuste… Mais bon… Que serait le monde sans souffrance? Se serait un monde sans joie. Et inversement. Car sans souffrance et malheur, comment apprécier les bonheurs de la vie? Pareil pour la luminosité et l’obscurité, le ciel et la terre, le feu et l’eau, l’harmonie et le chaos, l’amour et la haine. Quoi que les deux derniers contraires méritent un débat. Car la haine est une sorte de passion, n’est-ce pas? Alors que serait le contraire de l’amour? Tout simplement l’indifférence, car l’indifférence n’est rien, ni passion, ni sentiment.

Eien avait besoin d’un changement d’air. Il décida qu’il était temps de quitter les beaux champs verdoyant, qui lui rappelait sa bonne humeur passée et le déprimait encore plus, pour se rendre dans un lieu moins hospitalier, plus hostile. Cela n’arrangera certainement rien mais au moins, cela l’occupera. Il réfléchis. Pas questions d’aller dans les territoires des Arkames, il était au trente-sixième dessous, mais il était toujours un loup respectueux des frontières. Quant aux terres neutres, cela ne lui disait rien. Il allait donc demeurer en terres Varians, ses terres. Il pensa alors à un lieu où il n’avait jamais mis les pattes. Certains de ses amis lui en avaient déjà parlé, le décrivant comme totalement déprimant, peu recommandable. Le Mont Dalmas. Il parait que ces montagnes sont lugubres lorsqu’une tempête de neige menace. Le meilleur endroit où s’exiler et réfléchir. Eien pensait déjà au moment où il se coucherait dans une caverne de glace, le vent sifflant à l’extérieurs, et le froid lui mordant la peau, trop cinglant pour que sa fourrure ne l’en protège. Se serait surement le seul inconvénient, mais qu’importe…

Le grand loup se trouvait quelque part sur les terres de son clan, et se tenait debout, le museau levé vers le ciel. Ce dernier était à l’image du moral de ce loup au pelage clair. Gris, nuageux, déprimant. Le vent lui fouettait le visage, et ébouriffait sa longue fourrure. Eien abaissa les yeux, et regarda autour de lui. Il n’y avait pas âme qui vive ici. Et tant mieux. La solitude accompagnait Eien depuis quelques temps, et elle était devenue son alliée, même si, au plus profond de lui-même, il savait que ce n’était pas une amie bénéfique. Il se mit en marche, tout en relevant la truffe, et en scrutant l’horizon. Les sommets du Dalmas étaient bien là, et il en prit la direction. Il trainait les pattes, vidé de l’énergie qu’il possédait il y a quelques jours. Une énergie qui le faisait sauter dans tous les sens (façon de parler). Il marcha ainsi pendant plusieurs heures, et lorsqu’il se redressa de nouveaux pour voir les montagnes et évaluer son avancée, il fut déçu de constater qu’il en était encore trop loin à son gout. Il voulait y être avant la tombée de la nuit, de façon à ne pas se faire piéger par les congères, les falaises et autres obstacles mortels. Il décida donc de courir. L’avantage, c’est qu’il aurait encore plus l’esprit occupé pour penser aux derniers moments vécus.
Il courait toujours lorsque ses coussinets s’enfoncèrent dans quelque chose de froid et d’humide. Inutile de se demander ce que c’était. Eien n’y fit même pas attention. Sa vision fut bientôt troublée par des centaines de gros flocons qui ondulaient au gré du souffle glacial qui balayait ce territoire. Il commença à ralentir le pas, et s’arrêta totalement. Dans ce tourbillon blanc, il n’y voyait plus rien. Seulement des formes floues. Et, bien sur, plus il s’était enfoncé dans les montagnes, plus la densité de la tempête de neige c’était intensifiée. Il voulu maintenant grimper plus en altitude. Il s’avança alors vers une petite falaise moyennement pentu, y planta ses griffes, et progressa à bonne allure en cherchant des prises sur la glace. Il arriva enfin sur une petite plateforme, et devina un trou dans une autre falaise bien plus haute que celle qu’il venait d’escalader et totalement verticale. Ce n’était pas la grotte qu’il avait espéré. Il serait à l’abri du vent, mais quelques flocons viendraient certainement à sa rencontre. Mais bon, il n’avait aucune envie de redescendre, et ne pense même pas à continuer de monter. Il se blotti donc tout contre la paroi qui formait comme un demi-dôme au dessus de sa tête, posa son menton sur ses pattes, et fixa son regard au loin, en ne pensant à rien. Il laissa son corps s’engourdir par le froid et l’immobilité, les flocons former une couverture sur ses poils, et ne bougea plus d’un pouce, perdit la notion du temps, abandonnant son esprit dans les profondeur du néant.